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Aidants sans-papiers : ces gardiens du lien si précaires

Dans les hôpitaux, les EHPAD, et au domicile des personnes en perte d'autonomie, une force de travail essentielle veille sur nos aînés et nos malades. 


Mais une part significative d'entre eux vit sous une menace constante : celle de l'expulsion. Sans papiers, sans droits, nombreux sont les aidants professionnels qui incarnent un paradoxe révoltant : en première ligne pour soigner, en dernière ligne pour exister.


Une précarisation qui fragilise tout le système de santé


Alors que les institutions publiques comme privées peinent à recruter des soignants et que les offres d'emploi non pourvues s'accumulent dans le secteur de l'aide à la personne, les lois se durcissent pour empêcher la régularisation des travailleurs sans papiers qui accomplissent pourtant des tâches que trop peu de Français veulent encore exécuter. 


Pour ne citer que la situation des EHPAD, le dernier rapport du Sénat qui date de septembre 2024 fait état de deux établissements sur trois déclarant des difficultés de recrutement et de 20% d’employés « faisant fonction » d’aide-soignant sans en avoir les qualifications.


Cette incohérence pèse sur toute la chaîne : des employeurs sans option alternative sous la menace de poursuites pénales, des soignants dans la peur permanente du contrôle et des patients et proches suspendus à cette perpétuelle interrogation : Va-t-on s'occuper de moi aujourd'hui et si oui, qui ?

Ainsi, la précarité des travailleurs s’étend aux bénéficiaires et aux employeurs, et de fait à l’ensemble du système de santé.


Des économies, mais à quel prix ?


Puisqu’il est évident que les structures de soins, les familles et in fine l’État ont tout à perdre en se privant de la main-d’œuvre immigrée, il est peu probable qu’ils choisissent de s’en débarrasser réellement.  En revanche, ils peuvent accroître la pression sur ces travailleurs pour les contraindre à accepter des conditions toujours plus précaires et des rémunérations toujours plus basses.


Ce système présente un avantage économique indéniable pour les familles, qui profitent d’un coût réduit tout en évitant de prendre en charge elles-mêmes leurs aînés. Cependant, ce gain financier se fait au détriment de la qualité des soins prodigués. Laquelle ne repose pas uniquement sur les compétences techniques ni même l’empathie, mais aussi et surtout sur la continuité relationnelle. Retrouver chaque jour des visages familiers, poursuivre des conversations d'une semaine sur l’autre permet aux personnes âgées de se sentir entourées, pas seulement « maintenues » à domicile ou en établissement. 


Ce mépris des conditions de travail des soignants se retourne contre les familles elles-mêmes : une prise en charge déshumanisée et une dégradation des relations intergénérationnelles. Ce qui semble être un avantage à court terme pourrait bien se transformer en fardeau social et moral.


Pour plus de lien dans les soins


Face à cette réalité incontournable, une question essentielle se pose : quelle société voulons-nous construire ?

Souhaitons-nous un monde où chaque individu est isolé, où les personnes fragiles, tout comme ceux qui en prennent soin, sont maintenues dans une solitude qui facilite leur contrôle ? Un monde où les soins sont réduits à une simple « maintenance fonctionnelle », au détriment des liens humains et de la joie qu’ils procurent ?


Ou aspirons-nous à une société de liens, où les proches entourent les plus vulnérables sans être rongés par l’inquiétude, grâce au travail de professionnels reconnus, qui ne tremblent pas chaque matin en allant travailler ?

Un tel modèle ne se contenterait pas de mieux répartir la charge. Il permettrait aussi de partager le surplus d’humanité que procure l’accompagnement de ses proches, qu’ils soient de sang ou de cœur.


La France ne peut proclamer vouloir protéger les plus vulnérables tout en excluant ceux qui les soignent. Si nous voulons vraiment préserver notre système de santé et d'aide à domicile, il faut cesser de condamner à l'ombre ceux qui le font vivre.


Diouldé Chartier-Beffa x Paul Cariou


🎨 Des glaneuses, Jean-François Millet

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