Face à la prolifération des cyber arnaques, la réponse réflexe est toujours la même : blinder les accès, complexifier les mots de passe, multiplier les facteurs d'authentification, empiler les barrières numériques comme des sacs de sable avant une inondation.
Sauf que pour beaucoup de seniors, ces précautions ressemblent davantage à un mur infranchissable qu'à une protection efficace.
Dépassés, ils finissent souvent par jeter l'éponge et confier leurs accès à leur fils, leur voisine et surtout au vendeur de la boutique Orange.
Ils s'exposent ainsi à un paradoxe saisissant : plus on les protège, plus ils deviennent vulnérables.
Le casse-tête des aidants, dépositaires des codes mais fantômes administratifs
Lorsqu'un senior abandonne la partie et remet ses identifiants à un proche, ce dernier se transforme en gestionnaire de fait de son identité numérique. Problème : cette délégation n'existe que dans la pratique, sans aucune reconnaissance par ses interlocuteurs. L'aidant a accès à tout, mais ne peut officiellement rien faire. Il se heurte à des administrations, à des banques et à des services de santé opérés par des systèmes automatisés qui semblent s’ingénier à le bloquer à un stade ou un autre de la démarche. Sans procuration ni statut juridique, le proche doit composer avec un régime schizophrénique : présent pour l'aidé, absent pour l'agent.
Les conséquences sont multiples : exposition aux cyber arnaques du senior qui garde la main sur ses comptes numériques au-delà de ses capacités ; dépendance encore plus forte du senior vis-à-vis d’un seul de ses proches – celui qui détient son identité numérique ; alourdissement du fardeau administratif du proche aidant.
L’Observatoire DCAP / TAMALOU « le Système D des Proches Aidants » a repéré des situations ubuesques, comme celle où la nièce doit, pour payer l'aide-soignante, scanner l'empreinte digitale – chaque jour un peu plus ternie – de son oncle atteint de Parkinson.
La dématérialisation : quand le progrès exclut les plus fragiles
A long time ago in a galaxy far, far away ... Non, jusqu'à la veille du premier confinement, un guichet physique permettait au senior de se présenter avec son aidant. Ce dernier pouvait ainsi jouer son rôle sans entrave. Aujourd'hui, ces points d’appui disparaissent, remplacés par des plateformes en ligne, souvent plus hermétiques aux usagers qu’étanches aux hackers. Le résultat est sans appel : d’un côté, on ferme les guichets ; de l’autre, on verrouille les accès numériques, piégeant les plus vulnérables dans une impasse administrative.
Ces décisions occultent un fait majeur : la fracture numérique n’est pas qu’un phénomène résiduel, voué à disparaître avec le renouvellement des générations. C’est une réalité qui non seulement exclut massivement ceux qui n'ont pas grandi avec un clavier sous les doigts, mais aussi ceux qui, quel que soit leur âge et leur aisance numérique, ne cadrent pas avec les situations types prévues par les algorithmes… ces fameux personae chers aux concepteurs numériques.
Réhabiliter les aidants numériques : une urgence
Plutôt que d'ajouter des verrous aux verrous, pourquoi ne pas s'appuyer sur ce qui fonctionne déjà ? Les proches aidants sont en première ligne pour accompagner les seniors dans leur quotidien digital. Encore faudrait-il leur donner une capacité d’action reconnue, une légitimité pour gérer ces accès en toute transparence et sécurité. Une délégation sécurisée leur permettrait d'agir sans franchir la ligne rouge de l'usurpation d'identité.
Si l’objectif est vraiment de protéger les seniors, arrêtons de leur tendre des chausse-trappes numériques. Misons sur la confiance et la solidarité familiale. En somme, construisons une cybersécurité qui ne repose pas seulement sur des algorithmes, mais aussi sur les liens sociaux.
Diouldé Chartier-Beffa x Paul Cariou
🎨 Relativity, M. C. Escher
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