Troubles psy : Les familles face à l'isolement
- paulcariou8
- 26 mai
- 3 min de lecture
Lorsqu’un adulte souffre de troubles psychiques, son accompagnement repose sur un fragile équilibre entre l’intervention des professionnels de santé et le soutien de son entourage.
Pourtant, l'Observatoire Le système D des aidants (DCAP Research / Tamalou) révèle une problématique qui perdure : la difficile implication des familles dans la prise en charge des patients.
Ce vide, qui repose bien souvent sur des non-dits et des obstacles structurels, pèse lourdement sur ceux qui restent, en particulier les enfants.
Un soutien familial entravé par de multiples freins
Les services de santé mentale peinent à mettre en place un accompagnement global qui inclut la famille du patient. L’approche thérapeutique, centrée sur l’individu, laisse peu de place aux proches. Les rendez-vous médicaux sont souvent cloisonnés, les décisions prises sans consultation élargie, et les structures d’accompagnement familial restent souvent limitées à des initiatives associatives (Groupes de paroles à l'hôpital, points d'accueil de l'UNAFAM, La Maison Perchée à Paris 11e, la Maison d'à côté à Tourcoing ...). On peut aisément comprendre que les familles peinent à se saisir de ces dispositifs, non par manque d’intérêt, mais parce que l’idée de consacrer une soirée supplémentaire à parler de la maladie avec des inconnus représente une charge de plus. Ces considérations compliquent l’implication des proches, qui doivent pourtant gérer la réalité du quotidien.
Prenons l’exemple de Claire*, 42 ans, dont le mari, François*, est atteint de troubles bipolaires. Lorsqu’il traverse une phase dépressive, il s’enferme dans la chambre, refuse de parler et laisse les responsabilités du foyer peser sur elle. Claire voudrait l’aider, mais elle ne sait pas comment. Doit-elle insister pour qu’il se lève, l’encourager à voir du monde ou simplement attendre ? Chaque jour, elle oscille entre le sentiment du devoir d’implication et l’incertitude de la bonne attitude à adopter. « Il n'y a pas de mode d'emploi. Chaque situation est unique. Il est toujours difficile de savoir comment agir et quoi dire. J’ai peur de mal faire », confie-t-elle.
Au-delà du foyer, les autres membres de la famille sont aussi confrontés à un dilemme : aider sans être happé. Le frère de François voudrait être présent, mais il a sa propre vie, son travail, sa famille. Comment trouver l’équilibre entre soutien et protection de son quotidien ?
De plus, la persistance de certains obstacles autour des troubles psychiques peut freiner l'engagement. Par stigmatisation (notamment dans le cas des addictions), crainte des agissements du patients ou méconnaissance des dispositifs existants, certaines familles hésitent à s’impliquer activement dans la prise en charge du proche malade.
Les enfants aidants, victimes silencieuses
Dans ce contexte de prise en charge morcelée, les enfants des patients sont souvent les premières victimes. Contrairement aux autres membres de la famille, ils n’ont pas la possibilité de prendre du recul et doivent composer avec la situation au jour le jour. Léa*, 13 ans, vit avec sa mère atteinte de schizophrénie. Chaque jour, elle rentre du collège avec l’angoisse de trouver sa mère en crise. Tantôt silencieuse et recluse, tantôt agitée et incohérente, sa mère est une présence à la fois indispensable et pesante. Léa prépare à manger, s’assure que sa mère prenne ses médicaments et veille à ne pas faire de bruit pour ne pas la perturber.
Ces responsabilités démesurées empêchent Léa de vivre une enfance normale. Elle n’invite pas d’amis à la maison, de peur qu’ils découvrent sa situation. Elle n’ose pas en parler aux professeurs, par crainte d’être séparée de sa mère. Comme beaucoup d’enfants aidants, elle se mure dans le silence, portant seule un poids qui dépasse ses forces.
L’isolement du patient, un piège pour ses proches
Un patient souffrant de troubles psychiques tend à s’isoler du monde, et ceux qui l’accompagnent risquent d’être entraînés dans cet isolement. Claire en fait l’expérience au quotidien. François refuse les sorties, évite les visites, et peu à peu, le cercle social de la famille se rétrécit. « Quand il ne va pas bien, je reste avec lui. Mais plus je reste, plus je m’éloigne des autres. » Ce phénomène crée un cercle vicieux où l’aidant devient, lui aussi, coupé du reste du monde.
Pourtant, une porosité est essentielle entre le malade, ses proches les plus investis et ceux qui le sont moins. Impliquer la famille élargie, les amis ou même les voisins viendrait alléger la charge des aidants principaux et éviter cet isolement. Il ne s’agit pas de forcer une implication totale, mais de favoriser des gestes simples : un repas partagé, un message pour prendre des nouvelles, une course ponctuelle au marché.
Diouldé Chartier-Beffa x Paul Cariou
*Le prénom a été changé. Il s'agit de l'un des 2200 témoignages issus de l'Observatoire Le système D des aidants mené par DCAP Research et Tamalou
🎨 Chambre à New York, Edward Hopper
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