Apaiser les tensions avec l'IA : Vers une coordination émotionnelle augmentée
- paulcariou8
- 31 oct.
- 3 min de lecture
"Toutes les familles heureuses se ressemblent mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon." (Anna Karénine Léon Tolstoï).
Autour d’un parent malade ou vieillissant, les proches s’organisent, se parlent parfois peu, se contredisent souvent. Entre la sœur qui s’épuise sur place, le frère qui gère à distance, les rancunes anciennes et les urgences du quotidien, la solidarité se transforme parfois en champ de bataille émotionnel. Chacun agit selon ses valeurs, sa disponibilité, ses moyens affectifs, financiers ou moraux. La parole circule mal, la coordination s'en ressent.
Or, dans un contexte de coupes budgétaires et de manque de personnel, le système de santé repose de plus en plus sur ces familles. Pourtant, les outils numériques de santé actuels sont souvent pensés en circuit fermé, réservés aux professionnels, descendant du soignant vers le patient, rarement horizontaux, encore moins familiaux.
Comprendre pour mieux coordonner
C’est à partir de ce réel que le projet de recherche mené depuis quelques mois par Tamalou en partenariat avec le Centre de Recherche en Information de Paris 1 Panthéon Sorbonne prend toute sa force. Son ambition : comprendre comment l’intelligence artificielle peut détecter et qualifier les dégradations émotionnelles et relationnelles au sein d’un groupe familial en situation d’aidance. L’objectif est d'identifier des signaux faibles de tension, d’épuisement ou d’isolement, avant qu’ils ne s’aggravent.
Notre approche mobilise des modèles d’analyse des sentiments et s’inscrit dans une conception d’IA “compréhensive” en circuit fermé, respectueuse de la confidentialité et fondée sur un corpus contextualisé et anonymisé de familles volontaires (les échanges réels des familles, non les contenus appauvris du web).
Elle vise à anticiper les dégradations émotionnelles pour notifier ou prévenir, non pas pour juger, mais pour alerter : « attention, le ton change », « la répartition des tâches se déséquilibre », « les échanges se raréfient ».
L’IA devient alors un outil d’attention collective, une aide à la conscience de groupe. Loin de se substituer à la relation, elle contribue au contraire à la réparer.
De la conscience de groupe à l’intelligence collective
Dans la tradition du Computer Supported Cooperative Work (CSCW), la conscience de groupe (« awareness ») désigne la capacité des membres d’un collectif à percevoir les activités, émotions et contraintes des autres. C’est le socle d’une coordination réussie et précisément ce qui s’effrite dans les familles d’aidants.
L’IA peut ici jouer un rôle inédit : réintroduire cette conscience partagée sans surcharger les individus. En s'appuyant sur l'approche d'Anita Williams Woolley (2025) sur l’IA comme technologie de coordination plutôt que de production, ce projet envisage l’IA non comme un substitut, mais comme un amplificateur de l’intelligence collective.
Raisonnement collectif : détecter les divergences de priorités et aider à reformuler des objectifs communs.
Mémoire collective : préserver et partager les informations essentielles, sans perdre la trace des émotions qui les accompagnent.
Attention collective : alerter quand un aidant s’épuise ou quand le dialogue s’enraie.
Cette IA ne remplace pas la parole, elle la facilite, la régule, et parfois, la relance.
Une IA empathique et éthique, centrée sur l’humain
Le projet s’inscrit dans une approche d’IA socio-technique, participative et éthique. Les familles sont associées à toutes les étapes de conception.L’objectif n’est pas de noter les comportements, mais de redonner de la visibilité aux émotions cachées, de désamorcer les blocages relationnels et d’éviter les surcharges invisibles.C’est une IA qui apprend auprès d’humains réels, dans des histoires de la vraie vie, et non sur des abstractions décontextualisées.
En articulant technologie, humanité et collectif, le projet Tamalou - CRI de Paris 1 esquisse une écologie du soin augmentée, où la donnée émotionnelle devient un levier de coordination plutôt qu’un tabou.
Il s’agit de redonner à la famille, souvent éclatée et fatiguée, les moyens de redevenir une équipe consciente d’elle-même, où chacun retrouve sa place, sa voix et son souffle.
Paul Cariou
🎨 Le Roi et l'Oiseau, Paul Grimault et Jacques Prévert




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